Notes de synthèses sur les différents recours sur les interdictions de manifester

Les interdictions de « manifester » sont en fait des interdictions de « séjourner » dans tel ou tel endroit pendant une période donnée.

Elles sont prises par le préfet en vertu de la loi de 1955 sur l’état d’urgence, qui avait été adoptée dans le but d’écarter des opposants politiques – en l’occurrence, des militants indépendantistes algériens.

Cette mesure est réutilisée aujourd’hui pour interdire à certaines personnes de se rendre à des manifestations.

Que faire en cas d’interdiction de séjour dûment notifiée (i.e. réceptionnée et signée).

  1. Saisir seul ou par le biais d’un avocat le juge des référés du tribunal administratif d’une requête en référé-liberté accompagnée de la décision attaquée dans les plus brefs délais.
  2. Saisir seul ou par le biais d’un avocat le tribunal administratif d’une requête en excès de pouvoir accompagnée de la décision attaquée dans le délai de deux mois.

Voici une note qui présente les (3) différents recours pouvant être faits contre ces interdictions de manifester.

LE RÉFÉRÉ LIBERTÉ

Le référé-liberté est une procédure dite « d’urgence » en ce qu’elle oblige le juge saisi (le juge des référés) à statuer dans les 48h pour protéger des libertés fondamentales.

Le référé-liberté présente donc l’intérêt majeur d’obtenir une décision dans des délais très courts ce qui s’avère indispensable dans la mesure où les interdictions de séjour sont souvent délivrées à brève échéance avant la manifestation.

[A Paris, si les premières interdictions avaient été délivrées 3 jours avant la manifestation concernée, par la suite les agents de police n’ont pas hésité à les délivrer dans la nuit précédant la journée de mobilisation.]

  1. Que permet le référé-liberté ?

Le référé-liberté permet d’obtenir la suspension de la décision attaquée, ce qui vous permettra de vous rendre à la manifestation.

  1. Comment exercer un référé-liberté ?

Une requête en référé-liberté doit être déposée au greffe du Tribunal administratif du lieu de résidence de la personne visée par l’interdiction de séjour. Si vous habitez Rennes il faut saisir le juge des référés du tribunal administratif de Rennes même si l’interdiction de séjour vise Paris.

La requête en référé-liberté (cf. modèle) doit toujours être accompagnée de la décision attaquée : en l’espèce, l’arrêté portant interdiction de séjour.

Il est recommandé de saisir le Tribunal le plus rapidement possible : par dépôt en mains propres au greffe du Tribunal si la décision est délivrée en journée, sinon par fax au greffe (les coordonnées sont indiquées sur les sites respectifs des tribunaux administratifs, ex. pour Rennes : http://rennes.tribunal-administratif.fr/Informations-pratiques/Acces-et-coordonnees) ou par voie d’avocat si vous en connaissez un qui fait des insomnies et qui pourra ainsi le déposer par un logiciel dédié à toute heure du jour et de la nuit.

Dans l’hypothèse où le juge des référés serait saisi trop tard et que l’audience ne pourrait avoir lieu qu’après la fin de l’interdiction de manifester, le tribunal rejetterait le recours sans audience.

  1. Les particularités du référé-liberté
  • Il peut être fait sans avocat.
  • C’est un juge unique qui statue (en principe le Président de la juridiction).
  • Le juge des référés peut rendre une « ordonnance de tri » s’il estime que la requête en référé-liberté est « manifestement irrecevable » et ce sans même qu’il y ait d’audience. C’est pourquoi il est impératif que la requête soit motivée un minimum (cf. modèle de requête).
  • La procédure est orale, c’est-à-dire qu’il est possible de développer des arguments plus en détail à l’audience et que l’on n’est pas lié par le contenu de sa requête initiale.

Mais cela veut aussi dire que le préfet n’est pas obligé de rédiger un mémoire en défense écrit avant l’audience (qu’il serait possible de potasser pendant la nuit pour en chercher les failles).

Mais, comme la procédure est contradictoire, tout élément soumis au juge doit également l’être à la personne visée par l’interdiction de séjour. En d’autres termes, si le préfet entend justifier son arrêté d’interdiction de séjour en se fondant sur une note blanche des renseignements généraux, il devra vous en remettre une copie ou à votre avocat.

Il sera alors possible de répondre aux arguments avancés par le préfet (ou son représentant) directement devant le juge. (Ex : Je constate sur la note blanche que je suis censé avoir participé à telle ou telle manifestation, ou avoir été interpellé tel ou tel jour pour tel ou tel fait, ou faire partie de tel groupe, mouvance…. or je n’y étais pas…/je n’ai jamais été interpellé pour des faits de…/je ne suis pas politisé….)

L’audience est également le moment de produire des éléments qui attestent de l’impertinence de l’interdiction de manifester (à prévoir en double pour en laisser un exemplaire au préfet) : attestation de domiciliation qui prouve que l’on réside dans le quartier concerné par l’interdiction, certificat de stage/travail qui prouve que l’on doit se rendre dans tel endroit, mot de la maîtresse qui indique que l’enfant va à l’école dans tel arrondissement…

[Dans les derniers référés-libertés qui ont été formés devant le tribunal administratif de Paris, le préfet a communiqué les notes blanches 15 minutes avant le début de l’audience. Elles comportaient de nombreuses erreurs et la suspension a souvent été obtenue parce que le préfet ne pouvait pas prouver ce qui figurait dans les notes blanches…]

  • La décision est rendue à l’issue de l’audience mais après le délibéré qui peut durer quelques heures.
  1. Quels sont les moyens invocables à l’appui d’un référé liberté ?

Pour obtenir la suspension de la décision attaquée il faut prouver :

  • L’urgence qui préside à sa suspension,
  • L’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Le but est de prouver que le contenu de l’arrêté d’interdiction de séjour est faux, que les éléments invoqués sont matériellement inexacts, que l’on ne cherche pas à entraver l’action des pouvoirs publics, que l’arrêté fait obstacle à l’exercice de ses libertés fondamentales puisqu’il oblige certains à quitter leur domicile, les empêche d’aller et venir, de travailler et surtout les empêche d’aller manifester…

[Remarque sur les raisons qui ont mené à la suspension de neuf des dix arrêtés déférés devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris le 17 mai 2016. Le motif retenu par le juge pour suspendre les arrêtés était lié à l’absence de preuve émanant du préfet de la participation de l’interdit de séjour à des dégradations ou actions violentes. Depuis ce jour les préfets semblent systématiquement invoquer des interpellations ou des poursuites judiciaires pour motiver les arrêtés…]

  1. Quelles sont les suites d’un référé-liberté ?

En cas de suspension de l’arrêté portant interdiction de séjour : il est possible de se rendre à la manifestation.

En cas de refus de suspension : on s’expose aux poursuites pénales mentionnées dans l’arrêté en se rendant dans le périmètre interdit : à savoir 6 mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende.

Si, tant le préfet que l’interdit de séjour, peuvent faire appel de la décision du juge des référés devant le Conseil d’Etat (ils disposent de 15 jours pour le faire), l’appel n’a guère de sens puisqu’il n’est pas suspensif, c’est-à-dire que la décision du tribunal administratif continue à s’appliquer et que l’arrêté aura la plupart du temps expiré au jour de l’audience devant le Conseil d’Etat.

Que l’on ait décidé de faire un référé liberté contre son interdiction de séjour ou non, et que le juge l’ait suspendue ou non, il est dans tous les cas possible d’attaquer l’arrêté « au fond » pour le faire disparaître complément de l’ordonnancement juridique.

LE RECOURS EN ANNULATION (OU « RECOURS EN EXCÈS DE POUVOIR »)

Contrairement au référé liberté, le recours en annulation (ou « recours en excès de pouvoir ») est un recours dit « au fond » car il permet de faire disparaître complètement la décision, et ce même si elle est en quelque sorte « périmée », i.e. qu’elle a fini de produire ses effets.

En d’autres termes, les juges saisis vont examiner la légalité de la décision sous tous ses angles et de manière approfondie.

Le recours en excès de pouvoir présente quelques particularités :

  • Il doit être formé dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision (i.e. à compter de la date où elle a été remise à l’intéressé)
  • Il n’est pas non plus obligatoire de recourir à un avocat en première instance (i.e. devant le tribunal administratif)
  • Le jugement est rendu à l’issue d’une procédure écrite, contradictoire et par une formation de trois juges
  • Les délais de jugement s’étalent généralement à un an, les parties échangent des mémoires écrits et ne présentent que des observations à l’audience.

Le recours en annulation permet de soulever plus de moyens à l’encontre de la décision tels que par exemple des erreurs qui auraient été commises dans la rédaction de la décision, dans sa signature – on parle « d’illégalité externe ».

Surtout, ce recours permet de soulever de nombreuses illégalités qui ne résultent pas exclusivement « d’atteintes à des libertés fondamentales ». Il sera ainsi possible d’invoquer des erreurs de fait, des erreurs manifestes d’appréciation de la part du préfet, la disproportion entre la mesure prononcée et le but poursuivi, la violation de dispositions de la convention européenne des droits de l’Homme…

Si le recours en annulation peut paraître inutile car la décision a déjà fini de produire ses effets, il présente l’intérêt de faire disparaitre ces décisions de l’ordonnancement juridique et ainsi de faire cesser une pratique estimée, par de nombreuses personnes, comme abusive.

LA CONTESTATION DE L’INTERDICTION DE SÉJOUR AU COURS D’UNE AUDIENCE DEVANT LE TRIBUNAL CORRECTIONNEL

Il s’agit de l’hypothèse où une personne n’aurait pas vu suspendre son interdiction de manifester par le juge des référés et qu’elle déciderait de se rendre sur les lieux/horaires visés par l’arrêté.

La loi sur l’état d’urgence prévoit que celui qui ne respecte pas son interdiction de séjour s’expose à 6 mois d’emprisonnement et à 7 500 euros d’amende. Le fait de ne pas respecter son interdiction de séjour est donc une infraction et peut mener à une garde à vue, voire à une comparution immédiate.

Or, dans l’hypothèse où une personne serait interpellée parce qu’elle n’aurait pas respecté son interdiction de séjour (participation à la manifestation, présence sur des lieux / à des horaires non autorisés) elle pourra toujours soutenir que l’arrêté est illégal lors de l’audience devant le tribunal correctionnel, i.e. à l’occasion de son passage en comparution immédiate. A l’occasion de la présentation devant le juge « l’interdit de manifester » pourra soutenir que l’arrêté portant interdiction de séjour est illégal et qu’il ne peut de ce fait être poursuivi pour l’avoir enfreint. Ceci n’empêche pas de demander un renvoi, bien au contraire puisque le tribunal correctionnel sera tenu de statuer sur la légalité de l’arrêté… ce qui peut paraître difficile dans le contexte de la comparution immédiate…

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Infos générales qui n’ont rien à voir avec les recours mais bonnes à savoir quand même :

Il arrive parfois qu’en l’absence de la personne visée par l’interdiction de séjour à son domicile, les agents de police laissent sur sa porte, ou remettent à ses proches, une convocation au commissariat, enjoignant à l’intéressé de se rendre dans les meilleurs délais au commissariat de police sous peine de poursuites judiciaires.

Sachez que la remise d’un arrêté préfectoral n’est pas une convocation judiciaire et que les policiers usent de ce formulaire de manière abusive et que vous ne vous exposez à aucune poursuite en ne déférant pas à cette convocation.

Toutefois, quand bien même vous n’auriez pas récupéré votre arrêté, vous auriez refusé de le signer, ou même vous en auriez obtenu la suspension devant le tribunal administratif, il n’est pas improbable que les agents postés en manifestation vous interpellent en raison de la présence de votre photo sur leur trombinoscope et que vous passiez par la case garde à vue… Pour autant dans ces hypothèses vous n’êtes pas en situation d’infraction et vous devriez être libérés à l’issue de la garde à vue (à moins que d’autres éléments vous soient reprochés bien entendu…).