Songez seulement à ce que vous auriez pensé si, il y a un an, on vous avait parlé d’assignation à résidence, d’interdiction de manifester, d’annonces de camps pour les fichés S… Auriez-vous été capables d’imaginer des militaires renvoyant les migrants à la frontière, une islamophobie débridée, des débats politiques reprenant sans rougir les vociférations du FN, etc ? La reconduction, encore et encore, de l’état d’urgence est une instrumentalisation cynique des attentats. Surfant sur la peur, ce dispositif généralise le contrôle et la soumission. Chacun de ses méfaits est aussi une fiévreuse opération de communication : « Première sommation : qui ne trouve pas refuge dans la République sera considéré comme personne à risque ».
Pourtant, début mars, d’inattendues gouttes de soleil sont venues desserrer l’étau. Le mouvement contre la loi travail n’a pas seulement lutté contre une énième mesure néolibérale. Avec ses blocages, ses manifestations, ses occupations et ses piquets de grève il a également répandu une vérité. Il n’y a pas à choisir entre l’aliénation et la terreur. Un pas de côté est possible. Ceux qui résistent, quand ils se rencontrent, cultivent un art de la révolte capable de combattre les monstres. Et pourtant, toute la panoplie de la répression est utilisée contre ceux qui font ce mouvement.
Ici nous voudrions attirer l’attention sur les interdictions de manifester, et comment y résister. Apparues dans ce mouvement à la mi-mai (à Paris pour onze personnes, à Nantes pour huit personnes et à Rennes pour une personne) les interdictions de manif sont, en réalité, des interdictions de séjour sur une zone donnée pendant une période donnée. En clair, on interdit de se rendre sur le parcours d’une manif le jour où elle a lieu. Face aux recours qui aboutissent et démontent cette procédure, l’État s’acharne. En juin et en juillet cette mesure administrative vient frapper aux portes de dizaines de personnes à Paris, Nantes, Lyon, Rennes etc. Originalité : elles durent désormais jusqu’à la fin de l’état d’urgence (en fait, jusqu’au 25 juillet, car sa prolongation n’était pas encore déclarée). « Tu dors où ce soir ? » devient la question qui accompagne « tu vas à la manif demain ? ».
Comme les assignations à résidence, les interdictions de séjour sont des mesures administratives et préventives permises par les largesses qu’offre l’état d’urgence. Mesure administrative, cela signifie qu’elles ne sont pas délivrées sur ordre d’un juge, mais par la préfecture. En toute intimité, ceux qui décident de la répression sont les mêmes que ceux qui exécutent la répression. Mesure préventive, car on vous sanctionne pour un délit que vous n’avez pas encore commis (on ne sait jamais !). Encore une fois la police est seule à la barre. Ceux qui vous surveillent, sont ceux qui déchaînent les foudres contre vous. En toute discrétion car sur la base de notes blanches et de fiche S dont personne ne sait qui les écrit, les signe, et les vérifie. Un peu comme si avant de vous laisser tomber, l’état de droit venait vous susurrer à l’oreille : « En dernier recours je ferais appel à ce qui m’a toujours défini : l’arbitraire ».
La banalisation des interdictions de manif c’est donc le cheval de Troie de l’antiterrorisme dans les mouvements sociaux. Et la logique de l’antiterrorisme n’est pas celle des Pokémons. À « Attrapez les-tous », on préférera « Attrapez-en quelques-uns pour les terroriser tous ». C’est une mesure qui vise tous ceux qui manifestent, font grève, bloquent leur lycée ou occupent des places. Même le gouvernement sait qu’il est absurde d’interdire à 200 jeunes de descendre dans la rue pour empêcher un mouvement de cette ampleur de se déployer. Ces mesures servent de menaces, pour tous ceux qui luttent.
Anodines, pernicieuses et simples à exécuter, elles se diffusent sans scandale. Il faut donc tout faire pour empêcher ces procédures de redessiner le paysage répressif de la contestation ; autant pour ceux qui luttent, que pour ceux qui sont déjà quotidiennement frappé par l’état d’urgence. Avec les menaces d’expulsions de la ZAD de NDDL, la rentrée contre la loi Travail, et les élections pour ternir l’horizon politique, tout laisse à penser que les les mesures préventives permises par l’état d’urgence seront utilisées chaque fois qu’une occasion se présentera.
L’idée de ce blog est très simple :
- Fournir un outil pour nous sortir de l’isolement conditionné par cette répression en recensant et regroupant toutes les personnes concernées, dans chaque ville.
- Se mettre en lien avec des avocats qui rédigent des recours et suivent les affaires. Car il faut dès maintenant combattre ces mesures sur le plan juridique et politique.
Cette première étape passée, nous pourrons envisager de nous rencontrer pour imaginer d’autres types d’actions.